L’énonciation selon Emile
Benveniste
Emile Benveniste est un
linguiste français (1902-1976), spécialiste de la grammaire comparée ; il
a travaillé en majeure partie sur la langue indo-européenne, mais également sur
la linguistique générale. Les travaux qui nous intéressent ici, sont l’analyse
du discours et le concept d’énonciation, tout particulièrement. Il a mis en
évidence « l’appareil formel de l’énonciation » constitué
d’élément divers. Ces éléments composent la langue, par exemple, les déictiques
tels que les pronoms personnels (je/tu/il et la non personne), les possessifs,
les déictiques spatiotemporels. Ces recherches sont principalement réunies dans
son ouvrage intitulé « Problèmes de linguistique générale »,
publié entre 1966 et 1974. Elles portent sur la sémiotique et
l’exploration des idées saussuriennes, sur la relation du signifiant et du signifié
constituant entre autres le signe linguistique. Il a porté également un intérêt
particulier à la « phrase », et suivant la mouvance de Ferdinand de
Saussure (1857-1913), il montre comment participent la langue et le discours.
Dans notre domaine d’analyse,
Emile Benveniste définit l’énonciation comme étant « la mise en
fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation [i]». L’énonciation et la parole permettent de faire exister le langage. E.
Benveniste considère que la langue est un instrument au service de la parole.
Mais pour les linguistes, l’important est de comprendre ce que les gens disent,
comment ils le disent, et si cela est fait d’une manière implicite ou
explicite ? Dans notre étude, les journalistes utilisent des notions à la
fois subjectives et objectives, voire même neutres. Par exemple, le discours
indirect (citations, déclarations, etc.) met une distance entre le journaliste
et son discours, celui-ci ne souhaitant pas être tenu pour responsable des
propos des autres. De plus, l’utilisation des guillemets et de l’italique
marque une réelle irresponsabilité vis-à-vis du discours rapporté, les
journalistes sont, dans une certaine mesure, objectifs. La question
essentielle est de savoir comment ils utilisent la langue pour établir la
meilleure interaction communicative ? Ils peuvent vulgariser leurs
discours en utilisant un style plus soutenu qu’un autre dans l’unique but d’être
compris par tous.
On distingue deux types
d’énonciation, l’énonciation historique et l’énonciation du discours.
L’énonciation historique[ii] implique l’emploi exclusif de la non personne et du temps passé simple,
associé à l’imparfait des évènements qui semblent se raconter d’eux-mêmes. Les
marques du sujet d’énonciation sont absentes, le présent actuel est retiré au
profit du passé simple, il n’y a plus de déictiques, ni de couple Je/Tu. Dans
notre analyse, nous prenons en compte la non personne puisque dans le récit
journalistique, l’énonciateur et l’énonciataire sont présents implicitement
concernant le présent actuel, c’est une marque temporelle courante dans le
discours médiatique. L’énonciation du discours suppose la mise en rapport d’un
énonciateur avec son énonciation au moyen de marques d’interlocution ou
d’allocution. Nous prendrons en compte l’énonciation du discours sans exclure
l’énonciation historique, qui implique, quant à elle, la non personne.
Pour résumer, E. Benveniste
considère l’énonciation comme un comportement volontaire et dynamique vis-à-vis
de son énoncé. L’énonciateur s’inscrit alors dans son énoncé. Le journaliste du
Monde, lui aussi, fait de même dans son énoncé : « Vers 19h30, le
groupe que nous avons approché (…) ». Cette phrase indique
l’implication du journaliste avec le pronom personnel « Nous ».
Le journaliste pose ainsi clairement les règles de l’énoncé en annonçant :
« nous y sommes allés ». Le lecteur ressent très nettement la
présence du journaliste sur place et ne peut pas mettre en doute son
énonciation. La notion d’implicite tend à être l’inscription du sujet dans
l’énonciation, cela suggère que le journaliste s’est rendu sur place et a pu
faire un compte rendu fidèle ou partiellement conforme aux évènements.
Ensuite, E. Benveniste déclare
que l’énonciateur adhère plus ou moins à son propos. Le journaliste, quant à
lui, est en quelque sorte plus ou moins impliqué dans ce qu’il dit, à la fois
au niveau idéologique et au niveau linguistique, démontrant ainsi une
subjectivité dans le discours. Par exemple, « Si on ignore encore à
quelle heure les pompiers ont été appelé (…) », le journaliste du
Figaro dans son discours, comme lors de l’exemple précédent, il utilise le
pronom personnel « on », montrant alors une implication du
journaliste et de sa rédaction.
On note une nette distinction
entre les journalistes car dans les quatre autres journaux nationaux (Midi
Libre, L’Humanité, Le Monde, Le figaro), les journalistes emploient le mot
« mort » associé à divers adjectifs subjectifs ou non, tels que
« suspecte » ou « accidentelle ». Le nom
masculin « meurtre » employé par le journaliste de Libération
peut être interprété de différentes manières, soit comme un acte délibéré de la
police, soit comme la traduction d’un sentiment présent chez les habitants de
Villiers-le-Bel.
E. Benveniste intègre le degré
de transparence de l’énoncé au sein de la théorie de l’énonciation, la question
alors est : le journaliste doit-il tout dire ou pas ? Cependant, on
ne peut pas tout révéler car certaines informations ne semblent pas pertinentes
pour celui-ci au moment de l’énonciation. Par exemple, le journaliste du Figaro
est le seul à faire référence au test de dépistage de drogue fait par les
policiers accidentés. C’est également le cas du journal Libération qui
mentionne la thèse du meurtre retenue de préférence par les habitants. Le
journaliste du Midi Libre n’inclut pas, quant à lui, les réactions et les
opinions des habitants. Il décrit la situation, les conséquences des émeutes et
les déclarations du procureur Marie-Thérèse de Givry, du ministre et du
président de la République absent du territoire, et s’en tient à cela sans rien
détailler en plus. Toutefois, il ne prend pas en compte les réactions des
habitants et ne situe pas l’évènement pour la raison principale qu’il ne s’est
pas rendu sur place a contrario des journaux nationaux plus proches des
émeutes. Cet handicap géographique entre, par ailleurs, en compte dans le
traitement de l’information, et implique, par conséquent, une certaine distance
vis-à-vis de son discours, donc le journaliste ne révèle dit pas tout.
Enfin, la dernière
caractéristique de la théorie de l’énonciation, selon E. Benveniste, est la
présence d’un co-énonciateur dans le produit de l’énonciateur. Ce
co-énonciateur n’est pas passif, il construit l’énonciation en même temps que
l’énonciateur et peut être autant l’interlocuteur, l’allocutaire que le
récepteur. Le co-énonciateur est le destinataire prioritaire du message du
journaliste.
Bonjour Paola,
ResponderEliminarJe tiens tout d'abord à vous remercier pour cet intéressant article.
En fait,je mène une recherche de fin d'études à propos de la didactisation de la théorie de l'énonciation dans les manuels scolaire du collège (3 au Maroc).
Je vous prie de n'hésiter pas à me proposer vos remarques à propos de ce sujet .
Bien à vous ,Said
émail : labhirisaid@hotmail.com