La notion de « situation d’énonciation » prête à
équivoque dans la mesure où l’on est tenté d’interpréter cette « situation »
comme l’environnement physique ou social dans lequel se trouvent les
interlocuteurs. En fait, dans la théorie linguistique d’A. Culioli, qui l’a
conceptualisée, il s’agit d’un système de coordonnées abstraites qui rendent
tout énoncé possible en lui faisant réfléchir sa propre activité énonciative. C’est
dans ce cadre que sont définies les trois positions d’énonciateur, de co-énonciateur
et de non-personne.
— La position d’énonciateur est le point origine
des coordonnées énonciatives, le repère de la prise en charge modale. En
français le pronom autonome JE en est le marqueur ;
Entre l’énonciateur et le co-énonciateur (dont le
marqueur est TU en français) il existe une relation de « différence », d’altérité
: ces deux pôles de l’énonciation sont à la fois solidaires et opposés sur le
même plan. Le terme « co-énonciateur » n’est toutefois pas sans danger pour peu
qu’on l’interprète, à tort, dans le sens d’une symétrie entre les deux
positions.
— La position de non-personne est celle des
entités qui sont présentées comme n’étant pas susceptibles de prendre en charge
un énoncé, d’assumer un acte d’énonciation. Entre cette position et celles d’énonciateur
et de co-énonciateur, la relation est de « rupture ». C’est pour cette raison
qu’Emile Benveniste a préféré parler de « non-personne » plutôt que de « 3°
personne », comme le faisait la tradition grammaticale. A la suite de ses
travaux, on a abondamment décrit les divergences linguistiques entre les
énonciateur/co-énonciateur, d’une part, et non-personne d’autre part ; l’une
des plus remarquables est l’impossibilité de substituts anaphoriques pour les
marqueurs des positions d’énonciateur ou de coénonciateur : on ne peut que
répéter je ou tu (« Je sais que je suis en retard
»), alors que
la non-personne dispose d’une riche panoplie de procédés
anaphoriques, lexicaux ou pronominaux.
Ces trois positions autorisent aussi ce que Benveniste
appelle des personnes « amplifiées » ou « dilatées » (en français nous et
vous), qui correspondent aux positions respectives d’énonciateur et de
co-énonciateur. La catégorie du pluriel n’est pas pertinente ici. Dans cette
perspective, le « nous » ne s’analyse pas, en effet, comme l’addition de divers
« je » : c’est un « je » qui s’associe d’autres sujets et qui peut même ne
référer qu’à un seul sujet (cf. le « nous » dit de majesté).
Ce système de coordonnées personnelles de la situation d’énonciation
est à la base du repérage des déictiques spatiaux et temporels, dont la
référence est construite par rapport à l’acte d’énonciation : maintenant marque
la coïncidence entre le moment et l’énonciation où il figure, ici un
endroit proche des partenaires de l’énonciation, etc. Il permet aussi de
distinguer entre deux plans d’énonciation : d’une part les énoncés « embrayés »
qui sont en prise sur la situation d’énonciation (le « discours » de
Benveniste) et d’autre part les énoncés « non-embrayés », qui sont en rupture
avec cette situation d’énonciation (l’ « histoire » de Benveniste, mais élargie
ensuite à des énoncés non narratifs).
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